«Enfant de guerre», un concept – Solidarité internationale : BOW i.n.

Gerlinda SWILLEN, Porte Parole de Born Of War international network (BOW i.n)

http://www.bowin.eu

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Gerlinda SWILLEN

1. Un peu d’histoire

En 2002, lors de la rencontre annuelle des historiens à Berlin, le Historikertreffen, les organisateurs de l’association Fantom e.V. en collaboration avec la Deutsche Dienststelle-WASt, choisissent comme thème central “ les enfants de guerre ”. Depuis quelques années le Historikertreffen jouit d’ailleurs du soutien du Landesarchiv Berlin, et se tient dans ses locaux.

Ce choix a été très important pour briser le tabou autour de ce thème, introduit dans les premières années de notre siècle surtout par la plainte des enfants du Lebensborn norvégiens auprès de la Cour européenne contre la Norvège et porté à l’écran grâce au documentaire de Christophe Weber en France.

Une petite chronologie pour nous rafraîchir la mémoire :

1994.1995 : création de l’association Fantom e.V. à Berlin avec son pendant

français Phantom à Rouen

1996 : les enfants de guerre au Danemark créent leur association

2001 : sept enfants norvégiens du Lebensborn portent plainte contre le gouvernement norvégien

2004 : publication de Enfants maudits de Jean-Paul Picaper et Ludwig Norz

2005 : création de l’association des enfants du Lebensborn en Allemagne, Lebensspuren e.V. ; naissance de Cœurs sans Frontières/Herzen ohne Grenzen

2006 : une deuxième association en France voit le jour, l’Amicale Nationale des Enfants de la Guerre ; en Finlande l’association des enfants de la Wehrmacht est constituée

2007 : les enfants norvégiens portent auprès de la Cour européenne des Droits de l’homme ; à Berlin se tient le premier Kriegskinderforum – rencontre des enfants de guerre -, organisé par Fantom e.V. dans les locaux de la Deutsche Dienststelle-WASt

2008 : l’Association des enfants de guerre en Belgique est présentée à la presse.

Entretemps un accord entre la France et l’Allemagne rend possible aux enfants français nés de pères allemands de demander la double nationalité. En mars 2010 je fais la même demande en Belgique au consulat de la RFA à Bruxelles : la nationalité allemande m’est octroyée en juin !

L’intérêt des historiens et des médias sur la scène internationale, ainsi que l’engagement des personnes concernées ont contribué à la mise en marche d’un procès qui non seulement exige quelque éclaircissement, mais qui demande aussi d’assumer cette réalité des enfants de guerre.

2. Un concept

En juin 2008 l’université de Birmingham (Grande-Bretagne) organise un ‘workshop’, où les historiens décident de faire la différence entre les termes “ enfants de la guerre ”, enfants qui ont vécu la guerre, et “ enfants de guerre ”, enfants nés de la guerre.

Il est plus facile de faire cette différence en Anglais et en Français qu’en Allemand ou en Néerlandais.

Depuis 2009 et suite à la présence des enfants allemands de l’occupation au Forum des enfants de guerre à Berlin, le réseau des associations a affiné la définition du concept, surtout parce que les associations et les services de recherche sont confrontés à tant de cas de figure différents et que ma propre expérience avec actuellement + 120 témoignages dans toute la Belgique nous rend plus prudents. Le concept ‘enfant de guerre’ est actuellement défini comme un enfant qui sans la guerre, les circonstances de la guerre, le conflit ne serait pas né.

En Allemand il est aussi souvent question d’ ‘enfant de l’occupation’.

En ce qui concerne les difficultés que nous rencontrons dans les recherches scientifiques je vous cite quelques exemples :

En 1940 les cantons de l’est en Belgique sont annexés au Troisième Reich ; les hommes sont donc enrôlés dans la Wehrmacht, l’armée allemande. Un enfant d’un de ces soldats n’est pas un “ enfant de guerre ”. Si par contre le père est un soldat de la Wehrmacht venant de Munich, Hambourg, de l’Aurtriche, … dans ce cas il s’agit bien d’un “ enfant de guerre ” ;

Les enfants nés de STO ou travailleurs/euses, de prisonniers de guerre en Allemagne ou après la guerre de prisonniers de guerre allemands sont évidemment des “ enfants de guerre ” ;

La même chose vaut pour les enfants conçus par les soldats des armées alliées en Allemagne et Autriche.

La vie des enfants de guerre est en outre surtout marquée par deux caractéristiques :

a. Ces enfants sont ou ont été à la recherche d’un ou des parents, comme p.ex. les enfants du Lebensborn ;

b. ces enfants ont été harcelés par leur entourage en tant qu’enfants de l’ennemi

Ils présentent en tout cas des lésions de leur identité suite à la guerre et ses conditions de vie, ainsi que par le secret de famille. Et cela est aussi bien valable pour les enfants de l’occupation après-guerre.

3. Le réseau international BOW i.n.

– Déjà lors du 1er Forum des Enfants de guerre, le 20 octobre 2007 à Berlin, il y eut ce désir de constituer un réseau international.

– Le 31 octobre 2009 ce réseau international est enfin créé et nous disposons d’une définition du concept. Les associations du Danemark, de la Finlande, la France (Cœurs Sans Frontières), la Norvège, la Belgique et pour l’Allemagne Lebensspuren e.V. (les enfants du Lebensborn) y sont représentées et je suis élue comme porte-parole.

– Au printemps 2010 un nom est choisi : Born Of War international network, BOW i.n. (allusion à l’arc qui relie, qui est souple et à la précision et la vitesse de la flèche ; plus tard dans le logo pour le site internet le B rappelle l’image de la femme enceinte).

– Le 22 octobre 2010 une conférence de presse a lieu dans les locaux de l’ancien Reichstag avec l’aide d’une représentante des enfants de l’occupation en Allemagne. Notre but était de présenter le réseau Born Of War international Network. Mais nous voulions surtout proposer une Convention internationale pour les enfants de guerre/enfants de l’occupation.

En partant de leur expériences de vie souvent pénibles, attestées par la recherche scientifique, les enfants de guerre ont conclu que culpabiliser un enfant pour le passé de ses parents est un crime contre l’humanité. Mais ils refusent de jouer le rôle de victimes. Au contraire, ils désirent offrir un héritage à ceux qui naissent après eux. Pour cela ils se réfèrent à la Convention des Droits de l’Enfant, qui est entré en vigueur en 1989, plus précisément aux articles 6, 7 et 8 :

Article6

1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.

2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant.

Article7

1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux.

2. Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride.

Article8

1. Les États parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.

2. Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible.

 

Les enfants de guerre/de l’occupation sont conscients que cette Déclaration n’engage pas les parties. Pour cette raison ils insistent auprès des états membres de l’Union européenne de prendre des initiatives pour réaliser une pareille Convention pour les enfants de guerre/de l’occupation.

Principes de base :

1. Protéger :

Déjà avant la naissance la femme enceinte et son futur enfant nécessitent une protection. Il est important de tenir compte des circonstances de la conception (viol, consentement, relation amoureuse, prostitution, …

La femme a le droit d’avorter ou de garder son enfant.

Il est nécessaire de tenir compte du statut spécial des femmes dans des guerres, des conflits et des occupations. Mais les structures sociales, les mœurs, les normes éthiques, la religion dominante, … ont leur importance, sans parler des normes personnelles, psychiques.

-Il faut garantir un accouchement dans des circonstances dignes.

– Vivre signifie plus que survivre. Dans beaucoup de sociétés les enfants illégitimes et/ou les enfants du soi-disant ennemi sont exclus. Les femmes et leurs enfants ont besoin d’une habitation et d’une protection juridique afin de vivre. Dans nos sociétés un être humain n’obtient cette protection qu’en ayant une nationalité. Il est impensable que – comme pendant la Seconde Guerre mondiale – beaucoup d’enfants se retrouvaient apatrides après la guerre.

-Peut-être faut-il étendre le droit d’asile aux femmes et enfants de régions à conflits ou d’occupation.

-L’enfant doit être déclaré et obtenir un nom officiel.

2. Le droit à l’identité biologique :

-L’enfant conserve les relations familiales reconnues par la loi.

-L’accès aux archives et aux documents administratifs ne peuvent être interdit par des lois qui protègent la vie privée du citoyen, lorsque un enfant de guerre/d’occupation est à la recherche de ses parents ou de sa famille. La procédure de la Deutsche Dienstselle (WASt) peut nous servir d’exemple ici : priorité est donnée à l’enfant sur les parents ou les géniteurs. La Deutsche Dienststelle (WASt) sert d’intermédiaire avec les parents/famille.

-L’enfant a droit, s’il le désire, à une aide sociale et une assistance psychologique dans sa recherche de ses parents.

-Les dommages causés à l’identité des enfants de guerre/de l’occupation prouvent suffisamment l’importance pour la formation de l’identité d’un être humain de connaître ses deux parents. L’accouchement anonyme, le tour pour enfants abandonnés, l’adoption sans connaissance des noms des parents biologiques sont à proscrire.

Les associations des enfants de guerre, représentées par leur réseau BOW i.n., font un appel à tous les états dont les armées sont engagées dans des missions de paix de s’arracher le bandeau des yeux et d’élaborer un code de conduite réaliste pour leurs soldats. Là où des hommes et des femmes se rencontrent, des relations sexuelles ont lieu qui peuvent avoir des enfants pour conséquence. Pour l’enfant il est par contre important d’être reconnu par ses deux parents, de porter leur nom et de les connaître. Aussi quand les troupes quittent la région de la mission de paix, l’enfant à le droit de savoir qui est son père.

Le jour suivant, le23 octobre, à l’occasion du Kriegskinderforum un site internet est offert au réseau par l’association du Danemark – www.bowin.eu; avec comme webmaster : Henny Granum

Que cette structure en réseau développe une nouvelle dynamique est une fois de plus prouvé l’année suivante, en octobre 2011. Nous décidons de mener une action concertée : l’envoi aux gouvernements où le réseau a des associations d’une lettre pour demander quelles sont les règles suivies quand un soldat dans une mission engendre un enfant.

En juin 2012 : la lettre suivante est envoyée par BOW i.n. au nouveau président de la République française :

Monsieur le Président de la République,

Le réseau international des associations des enfants de guerre, BOW i.n. (Born Of War international networkwww.bowin.eu) fut créé en octobre 2009, dans les locaux de la Deutsche Dienststelle (WASt) à Berlin. Ses membres sont tous des enfants qui sans la Seconde Guerre mondiale ne seraient pas nés, car ils ont été conçus par des soldats de la Wehrmacht ou des personnes travaillant pour elle avec des femmes ressortissantes des pays occupés par l’Allemagne nazie, ou encore par des prisonniers de guerre ou des travailleurs de ces pays en Allemagne. A la fin de la guerre d’autres enfants ont eu comme géniteurs des soldats des forces alliées en Allemagne et en Autriche ou des prisonniers de guerre allemands dans les pays alliés.

Ce n’est qu’en 1990 que ces enfants ont commencé à susciter l’intérêt des médias, des historiens, sociologues et psychologues, grâce au procès que les enfants norvégiens du Lebensborn (institution créée en 1935 par Himmler, ayant dans toute l’Europe enlevé des enfants à leurs parents) ont intenté contre la Norvège. Dans des pays connaissant des conflits comme l’ancienne Yougoslavie – surtout les événements tragiques au Kosovo nous viennent à l’esprit -, et en Afrique l’attention fut attirée par des enfants souvent nés de viols (collectifs) des femmes. Des études ont d’ailleurs révélé que beaucoup d’enfants soldats actuels ont un passé d’enfants de guerre.

Nos armées ne font bien sûr plus la guerre dans le sens classique du terme. Elles sont en général engagées dans le cadre d’accords internationaux et dans des opérations ayant la paix comme but. Ce qui par contre n’empêche pas des contacts avec la population locale, et plus spécifiquement avec les femmes. De ces liaisons peuvent naître des enfants. Entretemps les soldats sont rentrés dans leur pays.

En tant qu’enfants de la Seconde Guerre mondiale, nous connaissons les traitements subis par nos mères pendant et après la guerre et nous-mêmes, nous étions rarement les bienvenus. Mais que peut-on reprocher à un enfant ? Tout comme beaucoup d’autres états, la France a signé la Déclaration des Droits de l’Enfant. Elle s’est donc déclarée responsable pour le bien-être des enfants conçus par ses citoyens. Une mission de paix ne peut en aucun cas dégénérer en une guerre contre ces enfants.

C’est ce souci constant qui nous conduit aujourd’hui à vous poser, Monsieur le Président de la République, les questions suivantes. Quelles sont les règles de conduite que le Ministère de la Défense nationale et l’Etat-major de votre pays imposent à ses soldats concernant leurs relations amoureuses et/ou sexuelles avec les femmes du pays où ils sont en mission ? Quelles sont les mesures prises en cas de grossesses afin de protéger les futures mamans ? Qu’en est-il de la reconnaissance de paternité et de l’enfant et d’un soutien matériel éventuel ? L’enfant a-t-il le droit et la possibilité d’aller à la recherche de son géniteur (cf. Articles 8 et 9 de la Déclaration des Droits de l’Enfant) ?

Le réseau international BOW i.n. pose ces questions simultanément à tous les dirigeants responsables de l’armée dans les pays ayant une association d’enfants de guerre faisant partie du réseau. Nous ne doutons pas que dans un souci humanitaire égal au nôtre, vous voudrez bien y répondre.

Nous vous prions, Monsieur le Président de la République, d’agréer l’assurance de notre très haute considération,

cc. Monsieur Jean Yves Le Drian, Ministre de la Défense

Monsieur l’Amiral Edouard Guillaud, Chef d’Etat major des armées

La France, le Danemark, la Norvège, la Belgique et l’Allemagne nous ont répondu. Nous projetons d’envoyer une lettre similaire à d’autres dirigeants.

Une conférence de presse se tiendra en 2013 à Oslo avec l’agenda suivant :

a. analyse des réponses

b. la double nationalité pour les enfants de guerre/de l’occupation

c. accès aux archives et aux documents

4. Conclusion

Dès le début, lorsque Fantom e.V. a organisé la première rencontre des enfants de guerre à Berlin, Cœurs Sans Frontières était présent. Votre association était également représentée en 2010, lorsque le réseau a été constitué. Vous connaissez l’importance de cette question de la double nationalité, car vous en avez été les pionniers. Un réseau international des enfants de guerre sans vous est difficilement imaginable. En tant que porte-parole du réseau je vous communique aujourd’hui le vœu de toutes les associations en vous disant : votre place parmi nous est restée vacante, mais nous avons besoin de vous et nous vous accueillerons les bras ouverts.

Gerlinda Swillen

Porte-parole de BOW i.n.