JE SUIS VENU, J’AI ENTENDU ET J’EN SUIS TRÈS ÉMU…

Ce titre est inspiré du célèbre «Veni, vidi, vici» (je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu) prononcé par le regretté Jules Cesar pour annoncer au sénat romain sa rapide victoire sur Pharnace, Roi du Bosphore. Un Jules Cesar, généreusement élevé à la dignité d’empereur par une partie de nos contemporains alors qu’il ne fut que consul.

Plus modestement j’ai franchi le Rubicon en début de l’année 2009 en rejoignant les rangs de Cœurs sans frontières.

Je serais tenté de chanter : « Pour moi le vie va commencer ! » …Après cette chape de plomb de 60 ans d’obscurantisme et de tabou, une lumière apparaît, une bouffée d’air frais réveille la plupart d’entre nous.

On ne remerciera jamais assez Christophe Weber pour cet émouvant, mais combien réaliste film « Enfants de boches » qui, bien que diffusé à une heure discrète, fut un véritable déclencheur, une réelle prise de conscience pour ceux qui gardaient leur drame personnel soigneusement caché face à une société trop souvent hostile. Il convient, bien sûr, d’y associer et saluer aussi les remarquables travaux de l’historien Fabrice Virgili.

Nous sommes donc des enfants de la guerre, on pourrait dire des guerres, car les fruits des amours interdites lors de conflits existent depuis que l’Homme a inventé ces bains de sang récurrents.

Nous sommes nés à cause de la guerre, mais surtout malgré celle-ci. En effet, nos Mères et nos Pères n’ont pas attendu les évènements de Mai 1968 pour découvrir les vertus du précepte « Faisons l’amour, pas la guerre ».

Dans ce contexte nous avons au moins une certitude rassurante, nous sommes des enfants de l’Amour, ce qui n’est pas forcément toujours le cas de nos détracteurs.

Les 28 et 29 novembre 2009, j’ai donc participé à ma première Assemblée générale de « Cœurs sans frontières » à Caen.

La simple traversée de cette ville rappelle, par son omniprésente architecture des années 1950, la tragédie de ces localités pratiquement anéanties pendant cette deuxième guerre mondiale.

Etre, pour la première fois, devant cet imposant, mais combien élégant Mémorial, provoque un mélange fort de sentiments où se côtoient le respect, l’humilité, l’émotion et le recueillement.

Chacun aura observé la majesté de ce monument, Sur sa très sobre mais magnifique façade, on peut lire : « La douleur m’a brisée, la fraternité m’a relevée, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté »

Ce qui est remarquable, c’est que ce très haut lieu de l’indispensable Mémoire, avec tout le poids de l’Histoire qu’il évoque, n’est ni austère ni rébarbatif.

Atout particulièrement attrayant pour que les jeunes, en particulier, le visitent avec intérêt et en retiennent l’esprit.

C’est un endroit vivant, comme une lumière d’espoir vers l’avenir. Ce n’est pas pour rien qu’il est aussi dénommé « Un musée pour la Paix ».

Cela me rappelle, s’il en était besoin, l’état d’esprit d’un de mes amis, âgé de 82 ans, pris dans la rafle de Belfort le 14 septembre 1944 où environ 1200 jeunes passèrent brutalement de l’insouciance de la jeunesse à la violente réalité de la guerre en étant contraints d’aller travailler en Allemagne.

Il a rédigé un confidentiel récit de son aventure dont la préface énonce : « NI HAINE NI OUBLI ». Quelle leçon !

En découvrant ce Mémorial c’est ce que j’ai ressenti.

Pas question d’oublier les soixante millions de morts de cette atrocité, mais exercer ce devoir de mémoire sans haine, en regardant vers la réconciliation et l’avenir s’avère beaucoup constructif.

La main tendue constitue une arme de dissuasion.

C’est justement dans cette approche de tolérance que notre association tient ses assemblées générales dans ce lieu.

Les esprits très étroits pourraient se demander ce que des enfants de boches font au milieu des résistants…

Mais chacun aura remarqué que nos détracteurs se trouvent davantage dans les rangs des « bons français » qui ont découvert les vertus de la résistance à la libération, après avoir envoyé des lettres aux « autorités » pour dénoncer un voisin écoutant la BBC..

(3000 résistants en 1940, 200000 en juin 1944, 10 millions en mai 1945 et 65 millions en 2010…)

Le programme de ces deux journées a été d’une richesse et d’une densité remarquables.

Notre Président avait souhaité cet enchaînement d’interventions très ambitieux dont il serait impossible et même inconvenant de faire un palmarès compte tenu de la grande qualité générale.

Disons tout de suite que ce colloque fut aux antipodes des caricatures de café du commerce qui ont encore malheureusement cours sur cet immense sujet qu’est la Deuxième Guerre mondiale. (Une parenthèse pour expliquer, comme vous l’avez remarqué, le choix du mot « deuxième ». La langue française, dans sa grande richesse, propose deux mots pour désigner le numéro DEUX, mais elle ne comporte pas de synonymes parfaits. Second sous entend qu’il n’y aura pas de troisième contrairement à deuxième. Ne me traitez pas de pessimiste alors que je ne suis qu’un optimiste réaliste.

Inutile de préciser que cette dense journée, moralement et psychologiquement très lourde, restera toujours dans nos mémoires. Il est difficile d’en évoquer les moments forts alors qu’il n’y a eu que cela ! L’exposé de toutes ces situations pour la plupart poignantes, par des intervenants parfois paralysés par les larmes, ne peut être oublié.

Il y a quelques semaines, sur une radio du service public, on a pu entendre un intervenant exprimer sa lassitude à l’égard des évocations de cette Deuxième Guerre mondiale. Il estimait que l’on en parlait trop !

Au moment où certains jeunes n’ont jamais entendu parler d’Hitler et où d’autres, plus érudits, croient qu’il était Allemand, l’indispensable devoir de Mémoire impose de parler de cette guerre et je ne pense pas que l’on puisse en parler trop.

Par contre on pourrait très certainement en parler mieux.

J’ai évoqué, dans ce qui précède, avec – certes – une pointe d’ironie, les 65 millions de résistants de 2010. C’est justement parce que, si l’on en juge par le travail des media, cette tragédie de 1939/1945 est présentée avec d’un côté ces odieux Allemands, et de l’autre ces vertueux Français qui TOUS étaient résistants.

A longueur d’année, on fait la promotion, dans tous les journaux télévisés et dans toutes les émissions de radio à la mode, d’ouvrages dont l’auteur relate ses faits de résistance ou ceux de son Père.

Curieusement, on n’a pas encore pu lire « J’ai tondu des femmes » ou « J’étais dans la milice »….

Les sujets sur les enfants de la guerre, et d’une façon plus générale, les sujets sortant du cadre de notre très à la mode pensée unique, sont diffusés sur des chaînes parfois payantes mais de toute façon à des heures excluant une partie des téléspectateurs potentiels.

La richesse et la diversité des débats qui ont caractérisé notre colloque du 28 novembre 2009 à Caen, ne se retrouvent que trop rarement dans le paysage médiatique ambiant.

Rares sont ceux qui ont entendu parler des enfants de la guerre nés d’une Mère autrichienne et d’un Père français, goumier marocain, pendant l’occupation française en Autriche ! Que Clément Mutombo, sociologue de l’Université de Wien, qui a réalisé un considérable travail sur ce sujet en soit remercié.

Parle t’on des enfants nés dans ces exécrables « Lebensborn » et condamnés à ne jamais connaître leurs géniteurs ?

S’intéresse t’on aux malheureux « Malgré nous », victimes de l’Histoire ?

S’il n’est pas question, dans ce texte, d’énumérer le programme exhaustif de cette exceptionnelle journée, citons cependant l’intervention de Joannès Borner, allemand, endoctriné dès son enfance par les méthodes nazies. et expliquant, en français s’il vous plait !, la perversité d’un système annihilant toute velléité de rébellion.

On frémit en comprenant avec quelle facilité on peut déformer et exploiter l’esprit d’un enfant….

L’oubli d’un « Heil Hitler » pouvait valoir un séjour dans un de ces tous nouveaux camps de concentration ouverts dès 1933 et dont la pensée unique commande de n’en avoir découvert l’existence qu’en 1945..

L’émouvant récit de cet ancien de la Wehrmacht, fut écouté avec le plus grand respect ce qui est tout à fait naturel

De quel droit et à quel titre aurait on pu s’autoriser à juger son Vécu ?

En effet, indépendamment des règles les plus élémentaires du respect de la personne et de la tolérance, il est totalement irréaliste de juger des évènements survenus il y a 70 ans avec le recul du temps, avec la connaissance de ce qui s’est passé après, et avec les mentalités d’aujourd’hui et sans parfaitement connaître le contexte de l’époque.

Cet homme fut, lui aussi, une victime du nazisme.

Heureusement, certains se battent pour faire évoluer ce devoir de mémoire en participant à la construction de l’Histoire de cette horrible époque 1939/1945.

Lors de notre colloque nous avons pu apprécier les remarquables travaux d’Emmanuel Hamon qui se penche sur l’insuffisante épuration française et la collaboration..

Car il va bien falloir enfin enseigner dans les écoles, ce qu’il faut retenir de ces heures sombres, de façon complète et honnête, surtout au moment où certains semblent douter du caractère indispensable des cours d’Histoire. .

Je me remémore toujours avec émotion cette assemblée générale, si enrichissante, si instructive sur ces faits de l’Histoire, mais aussi fructueuse sur le plan relationnel avec les membres de l’association présents.

La plupart des visages ont maintenant un nom, mais – encore mieux – aussi un prénom.

Je voudrais que ce récit, encourage ceux qui font déjà partie de Cœurs sans frontières à s’exprimer davantage, et donne aux autres, l’envie de rejoindre nos rangs.

Il n’existe pas de portrait type de l’enfant de la guerre mais une multitude de situations qui sont de vraies tranches de vie avec leur cortège de drames, parfois de joies, mais qui, de toute façon, n’ont pas été choisies.

Ce vivier de réflexion, cet apport historique précieux ne demandent qu’à être partagés par nos adhérents, sans voyeurisme, dans un esprit sain et respectueux de chacun.

07 Janvier 2010 Jean WILLEMIN Membre du Comité Directeur