Une interview au « Républicain Lorrain » pas comme les autres !

Quand un journal me sollicite pour un article cela me vaut un certain nombre de contacts de la part des lecteurs. Cet article du « Républicain Lorrain » me valut bon nombre de courriers, courriels et appels téléphoniques. Les réactions sont toujours très favorables (à quelques rares exceptions près). Les témoignages sont presque toujours chaleureux et/ou compassionnels. Il est vrai que nous appartenons à une catégorie méconnue ou  ignorée du grand public. Beaucoup découvrent une situation peu glorieuse de cet après guerre dont les séquelles ne se sont toujours pas cicatrisées pour bien des raisons. Elles nous renvoient à un passé pas toujours glorieux de nos concitoyens. Les lecteurs de cette région qui a été particulièrement « bousculée », traumatisée et incomprise du reste de l’hexagone, il s’agit bien sûr de ceux de la Moselle et de l’Alsace.

Normand de naissance, breton de cœur voire d’adoption et retraité à Menton la Moselle me semblait être un autre monde ! Région de mines et de métallurgie dont le climat et la configuration du territoire ne me donnaient pas très envie d’y faire du tourisme. Contrairement au reste du pays que je connais particulièrement bien. De cet à priori, que reste-t-il aujourd’hui après un court  séjour ? Rien.

Cette rencontre je la dois à une association, plus particulièrement à sa présidente. Son titre par lui-même est très évocateur : « Relais solidarité citoyenne ». Ses buts et objectifs : « Partager le savoir et mieux comprendre le monde ». « Le Relais Solidarité Citoyenne » dont l’objectif est le partage et la transmission de savoirs dans les domaines de la vie quotidienne.

Le programme est à la hauteur de l’ambition de cette association et de ses acteurs. Voici quelques thèmes abordés lors du dernier trimestre 2009 :

  • La grippe porcine
  • La HALDE
  • Le sommeil
  • Bâtard « fils de Boche »
  • La disparition des abeilles met-elle la planète en danger?
  • Le concept de laïcité
  • La pensée allemande et la Shoah.
  • Etc…

Vous aurez compris sur quel thème je suis intervenu !

La présidente après avoir pris connaissance de l’article cité ci-dessus me téléphona. Notre entretien fut très chaleureux. Mon histoire la passionna, elle devait avoir l’aval de son comté directeur pour que j’intervienne à Sarreguemines  devant ses adhérents.

Le jour « J » j’atterris à l’aéroport de Metz en début d’après-midi. Je ne connaissais pas Eliane et Jean-Pierre son mari. Nous, nous sommes spontanément reconnus. Ils m’accueillirent avec cette chaleur humaine qui n’est plus une valeur très en vogue dans notre société d’individualisme. Mes hôtes m’avaient concocté un programme qui ne pouvait que me réjouir et m’instruire sur cette région que je méconnaissais. Installés dans la voiture nous prîmes la direction de SCY-CHAZELLES. Commencer ce séjour par la visite du musée et de la maison du père de l’Europe Robert Schuman ne pouvait que réjouir l’homme né d’un conflit qui n’aurait pas eu lieu si cette grande Europe avait existé quelques décennies plus tôt.

Robert Schuman a vécu dans une grande simplicité (loin des « bling-bling » de l’époque) préférant consacrer son intelligence et son énergie à cette construction qui apparaissait à beaucoup comme étant un projet chimérique. Comment faire de deux pays qui se sont entre-déchirés, autodétruits, voire massacrés et spoliés pendant des siècles, des alliés ? Des deux côtés du Rhin, une haine implacable était entretenue par tous les conflits successifs de Napoléon à Hitler. Lui, ce mosellan visionnaire écartelé entre ces deux patries auxquelles il aura appartenu alternativement, a compris l’impérieuse nécessité de faire la PAIX.

Né en 1886 au Luxembourg d’un père mosellan et de mère luxembourgeoise. Il fait ses études à Luxembourg, Metz, Bonn, Munich, Berlin et Strasbourg. Docteur en droit il ouvre un cabinet à Metz en 1912. Il commença sa carrière politique après la 1ère guerre mondiale. Son idée pour transcender ces climats haineux fut de tout mettre en œuvre  pour « arrimer » ces deux belligérants l’un à l’autre de manière intemporelle et irréversible. L’opportunité lui en fut offerte quand il devint ministre des Affaires Etrangères de 1948 à 1953. Le 9 mai 1950 il fait une déclaration historique annonçant la construction de l’Europe sur la base d’un rapport de Jean Monnet (1888/1979), appelé « Plan Schuman ». Un an après, la Communauté Européenne du Charbon et de  l’Acier (CECA) était créée, premier pas vers le Marché Commun.

Le 25 mars 1957, six pays européens signent le Traité de Rome instituant le Marché Commun. En 1958 il est élu président de l’Assemblée parlementaire européenne qui se réunit pour sa 1ère session. En 1960, elle lui décerne, à l’unanimité, le titre de Père de l’Europe. Cette même année il prend, malade, sa retraite à Scy-Chazelles où il meurt le 4 septembre 1963.

Ce Grand Monsieur a vécu dans une grande simplicité loin des fastes qu’il fuyait. Fervent catholique il repose dans une ravissante petite église du 12ème siècle située juste en face de sa maison, son seul luxe !

Mon intervention ayant lieu le vendredi après-midi, mes hôtes qui m’hébergeaient dans leur confortable maison, me laissèrent me reposer. En fait nous avons consacré ce temps à mieux nous connaître, à nous découvrir. Quelle chance de me retrouver avec des personnes intelligentes, cultivées et généreuses. Tout en devisant Eliane,  bonne cuisinière, nous préparait un de ses bons repas dont elle a le secret.

L’après-midi nous nous rendîmes à la salle dans laquelle je fis mon intervention. Une cinquantaine de personnes étaient venues à ce rendez-vous. Auditoire attentif et réceptif je leur consacrais trois  heures de ce qui aura été ma vie, ma petite histoire dans la grande ! Passionné, je lui fis également un exposé sur notre association.  Nous, nous sommes quittés après une série de questions conditionnées par leur passé. Passé tourmenté, alternativement français puis allemands, à nouveau français pour se retrouver dans la partie annexée par Hitler donc à nouveau allemands et enfin français après l’armistice. Au-delà de cette violence identitaire ils vécurent le drame des « Malgré-nous ». Enrôlés dans une armée qu’ils n’avaient pas vraiment envie de servir ils devaient combattre ceux qui étaient hier encore leurs frères, leurs concitoyens. Les plaies ne sont toujours pas cicatrisées. Néanmoins cela donne un peuple humble, généreux et chaleureux. Dans cette région dont le climat me semblait rude il règne une chaleur humaine qui fait oublier la température extérieure.

Ma journée n’était pas finie. Eliane et Jean-Pierre, après un dîner succulent m’emmenèrent au théâtre à Sarreguemines. Pour la première fois de ma vie j’allais assister à une pièce dont la gratuité était totale. La salle était comble. La pièce interprétée par des comédiens amateurs, dont la qualité de jeu était honorable.

Le samedi matin j’avais rendez-vous avec un historien. Rendez-vous qui n’aura pas lieu ! Défaillant une autre rencontre m’attendait celle du généraliste… Après une piqûre « miracle » et un traitement efficace je pus honorer mes autre rendez-vous. Le premier était touristique et consistait à visiter Sarrebruck avec Vera une allemande qui nous fit découvrir « sa » ville avec passion. Femme d’une grande érudition s’exprimant dans un excellent français. Cette visite fut fort instructive et trouva son issue devant une boisson chaude.

Dans la soirée j’avais rendez-vous avec M.Laurent Kleinhentz, Conseiller Général de la Moselle et maire de la commune de Farébersviller. Homme passionné et passionnant. Maire d’une petite commune, féru d’histoire et particulièrement des « Malgré-nous » auxquels il a consacré une dizaine  d’ouvrages. Je lui narrais mon histoire, mon vécu. Nos souffrances n’étaient pas les mêmes mais comment aurions-nous pu rester insensibles à nos vécus réciproques ? Nos vies ont été chamboulées par nos origines dans cette période si violente, inhumaine. Nos souffrances réciproques nous rapprochèrent, différentes mais exprimées avec le même langage, la même sensibilité. Destins croisés dont les stigmates étaient la conséquence d’une société dépassée et incapable d’assumer un passé, son passé avec comme seul exorcisme la haine de tout ce qui touchait de près ou de loin à l’ennemi d’hier. De ces stigmates, de cette haine des hommes et des femmes nouveaux sont nés avec comme bouclier l’auto-défense (physique et/ou psychologique) ou le repli sur soi comme des coupables qui ne pouvaient pas dire leur nom, leur désespoir. Cet entretien nous a totalement fait oublier l’horloge temporelle. Nous avions conversé longtemps mais pas trop ! Nous aurions eu tellement de choses encore à nous dire pour tenter de comprendre et de transcender ces parcours illogiques, violents qui étaient la conséquence de la bêtise humaine. Eux ballottés, rejetés par une grande partie de l’hexagone et nous malmenés comme si nous étions responsables de l’amour d’une femme avec un homme qui avait comme tare celle d’être l’ennemi héréditaire. Cet ennemi d’hier est l’ami d’aujourd’hui; néanmoins les « Malgré-nous » et les « enfants de Boche » restent et resteront ce que nous sommes ! A la différence qu’une partie des seconds a transformé, depuis seulement quelques années, ce qui fit leur « handicap » en force intérieure, elle n’a plus honte de ses origines mais de ce que la société lui a fait endurer, honte pour elle ! Elle redresse la tête, est-ce le début de cette résilience si chère au Dr Cyrulnik ? C’est mon message d’espoir pour toutes ces personnes désespérées, tous ces déshérités de l’affection parentale.

Laurent Kleinhentz me remit avant de nous séparer un de ses ouvrages sur les « Malgré-nous » dont je prendrai connaissance pour notre grand rendez-vous 2010. Merci Monsieur de m’avoir ouvert votre porte.

Le dimanche, matinée de repos avant le repas dominical préparé avec la délicatesse toute particulière d’Eliane. Mets fins arrosés de vins locaux succulents, table dont le raffinement se perd (nous sommes à des années lumières des serviettes en papier, des gobelets en plastique et autres ustensiles actuels). Néanmoins dans une grande simplicité et convivialité. Leurs enfants nous accompagnent. Leur belle-fille mange avec une certaine réserve, comédienne, elle donne une représentation dans l’après-midi.

Eliane et Jean-Pierre n’auraient voulu en aucun cas me faire rater, au fils de musicien que je suis, un concert de très bonne facture dans la collégiale de Hombourg Haut.

Hombourg  Haut possède une ravissante collégiale Saint-Etienne des XIII et XVèmes  siècles ; agrandie en 1234 par Jacques de Lorraine, évêque de Metz et édifiée en collégiale. Cet édifice magnifique, un peu trapu, nous révéla une acoustique d’une grande qualité, d’une grande fidélité quant à la restitution du son comme en ont le secret bons nombres d’édifices religieux anciens.

Ce concert était produit par l’orchestre national de Lorraine sous la direction du chef Jacques Mercier. L’orchestre est composé de 71 musiciens permanents.

Au répertoire Théodore Gouvy ce musicien né en Sarre (1818-1898) passa une partie importante de sa vie dans la maison de son frère à Hombourg où il repose.

Connu, reconnu et honoré de son vivant autant en France qu’en Allemagne il tomba dans l’oubli après sa mort. Sa biculture franco-allemande et son antiwagnérisme en font une figure emblématique du 19ème siècle.

Redécouvert récemment, grâce surtout à l’action menée sur place à Hombourg, et à de remarquables enregistrements discographiques, il retrouve petit à petit la place qui fut la sienne. Romantique classique, sa conception de la musique est proche de celles de Schumann ; Mendelssohn et Brahms.

Au programme en première partie :
La 1ère symphonie en mi bémol (Opus 9)
Le dernier Hymne d’Ossian (opus 15)

Au programme en seconde partie :
Symphonie N°5 en ré majeur (opus107) dite « Réformation » de Félix Mendelssohn-Bartholdy.

 

C’est une rencontre inoubliable que je dois à deux personnes. Leur rencontre, la qualité de leur accueil, la rencontre de leur association et de ses membres, l’accueil d’une région qui a souffert, tellement souffert que nous nous sommes sentis spontanément en empathie, la rencontre de ce grand musicien tombé en désuétude (je pense que là aussi ce n’est pas le fruit du hasard…) la rencontre avec le « Père de l’Europe ». Vous êtes dans le vrai en étant fiers de votre région, vous n’avez jamais été coupables, vous avez été les victimes de guerres stupides à répétition, comme nous sommes les victimes collatérales de le Seconde Guerre mondiale. A ce titre je rejoins votre combat pour retrouver l’intégralité de notre dignité, comme je me bats pour que nous devenions des citoyens européens à part entière et contre la haine qui subsiste chez quelques individus méprisables.

Aux personnes qui m’ont accueilli, écouté et chaleureusement accompagné pendant ce séjour, je suis redevable de m’avoir fait découvrir une autre réalité bien loin de tous les clichés véhiculés par la société française.

Merci.

Novembre 2009.

Jean-Jacques DELORME.