Destins

Hélène

La fille de son père

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Photo : Frédéric Patard – La Presse de la Manche.

Hélène habite à Saint-Lô et fêtera ses 70 ans au mois de mai prochain. C’est une  » enfant de la guerre* « . Elle raconte son histoire, sans drames, mais avec beaucoup de questions encore.

Hélène est née le 18 mai 1944 à Carentan, Sa maman s’appelait Louise. Et son père, Friedrich. On l’aura compris : sa mère était Française, et son père Allemand. Pour compliquer un peu la situation, il faut préciser que Louise était en réalité mariée avec un Français, qu’elle vivait à Carentan et que son mari, travaillant à l’arsenal de Cherbourg, faisait la navette tous les jours en train entre Carentan et Cherbourg.

Voila pour les choses établies, sûres. Le reste, Hélène l’a reconstitué, supposé, étayé avec des questions, des interrogations, des recoupements : « Je crois que ma mère et Friedrich se sont rencontrés par l’intermédiaire de ma tante, la sœur de ma mère. Je présume qu’ils sont tombés amoureux. La liaison a duré un certain nombre de mois. Il devait avoir le même âge qu’elle. Avec son mari, elle n’avait jamais réussi à avoir d’enfant, et à l’âge qu’elle avait, elle n’y croyait plus. Quand elle a appris qu’elle était enceinte, ça a plutôt été une bonne nouvelle pour elle ».

La réaction du mari trompé a été violente vis-à-vis de sa femme. Mais il a reconnu l’enfant. Mieux encore :  » il a été un père adoptif extraordinaire pour moi «  se rappelle Hélène.  » Il m’a protégé des commérages des autres, et il n’a pas voulu que je sois au courant de ce qui s’était passé : il avait fait jurer à ma mère et à ma tante de ne rien me dire. Je ne devais pas savoir qu’il n’était pas mon père, et que vrai père était Allemand ».

Le doute, puis la vérité

Le pacte de silence est respecté, même si Hélène se pose parfois des questions sur certaines attitudes, regards ou réflexions. « Jamais on ne m’a traitée de « fille de boche « Mais une voisine m’a dit un jour : ah, celle-là elle a bien la tête de son père ». Le soir, j’ai raconté ça à la maison. Il y a eu un blanc. Et je sais que mon père est allé voir la voisine pour lui dire de ne plus m’importuner. Quand je voyageais, avec mes yeux clairs, mes cheveux blonds, on me classait automatiquement parmi les Allemandes. En rentrant, je racontais ça comme une anecdote:  » On m’a encore prise pour une Allemande. Et je voyais bien que ça avait du mal à passer auprès de mes parents ou de ma tante, donc je m’interrogeais « .

Et puis un jour, sa tante lui dit tout.  » J’avais 23 ans, ça commençait à faire un petit moment que j’avais des doutes. Ce que ma tante m’a dit, ne m’a pas beaucoup surprise » explique Hélène.  » J’ai questionné ma mère, qui m’a donné quelques renseignements supplémentaires sur Friedrich : en 1944, il était marié à une Allemande, avait un fils, et il travaillait dans la police Allemande. C’est à peu près tout ce que j’ai réussi à obtenir. Elle ne voulait pas m’en dire plus, c’était son histoire à elle. Je n’ai jamais dit à mon père adoptif que je connaissais la vérité, parce que je ne voulais pas lui faire de peine ».

Et si ?

Le temps passe, Hélène essaye d’en savoir davantage sur ce père Allemand, disparu après le Débarquement : tué, blessé, prisonnier ? On ne sait pas .Les recherches sont difficiles : peu de renseignements, pas de photo, pas de description physique, sans compter que le prénom Friedrich et le nom de famille (John ) sont très courants en Allemagne, que les pistes se multiplient et compliquent la démarche. Au final, un mince résultat, « J’avais une piste, mais sans preuves, ni certitudes. Alors j’ai arrêté de chercher. Et puis, je n’étais pas en manque d’un père comme beaucoup, puisqu’un père, j’en avais eu un pendant toute mon enfance et mon adolescence, qui avait toujours été très attentionné pour moi, donc je n’avais pas de manque affectif. Peut-être que je recommencerai à chercher un jour. J’aimerai quand même en savoir un peu plus sur lui, savoir qui il était vraiment ».

Avec un doute qui retient Hélène quand même : « Et si j’apprends que Friedrich, mon père, était un salaud ? Avant la guerre, il était policier à Hambourg, et je sais que son chef d’alors s’est retrouvé dans la Gestapo à Caen. A t-il suivi son chef ? A t-il fait partie de la Gestapo ? » Le genre de question qui donne le vertige. »Ca m’a aussi freiné dans ma recherche. J’ai un peu peur de ce que je vais peut-être trouver si je fouille davantage« .

*Les « enfants de la guerre »

Les enfants de la guerre, c’est le joli terme utilisé pour désigner les enfants nés des amours  » interdites » pendant la guerre. En clair, ceux conçus entre une Française et un soldat allemand pendant l’Occupation. Mais aussi, ceux conçus par les prisonniers de guerre Français avec des Allemandes. Ou encore, ceux nés des étreintes d’après-guerre entre les troupes d’occupation alliées et les Allemandes. Auparavant, quand le « politiquement correct » n’était pas de mise et qu’on ne s’embarrassait pas de subtilité, on disait tout simplement « enfants de boche« . Plus que dire, on fouettait, avec cette sale expression à la bouche.

Combien y en a t – il eu de ces enfants de la guerre, en France ? Difficile à dire. Des historiens parlent de 200 000 naissances, certains disent que ce chiffre est beaucoup plus élevé, d’autres parlent de moins. En réalité, c’est un fait qui reste encore entouré de mystère et qui pose beaucoup de questions, tant le sujet a longtemps été tabou.

Depuis quelques années cependant, grâce à de nombreux livres, témoignages, et le documentaire Enfants de boches de Christophe Weber (diffusé sur FR3 en 2003), le destin des enfants de la guerre a été évoqué à de nombreuses reprises, et le sujet, s’il reste délicat, n’est plus honteusement caché.

L’association Cœurs sans Frontières, franco-allemande (c’est important) œuvre sans relâche pour étayer cette histoire en même temps qu’aider ceux qui l’ont vécu dans leurs différentes démarches, recherches et questionnements.

Contact : www.coeurssansfrontieres.com. Le délégué pour la région Normandie est Michel Blanc (qui est aussi président national de l’association) : 02.35.41.26.58

Article de Frédéric Patard – La Presse de la Manche. – La Normandie au cœur de l’histoire – Hors Série