Sans l’agrément de M. Grimaldi directeur du Mémorial et de ses collaborateurs nous n’aurions jamais pu nous rassembler et continuer ce travail de mémoire que nous avons commencé le 11 novembre 2007. Un homme s’est particulièrement engagé à mes côtés, ce n’est pas l’homme d’un événement, c’est l’interlocuteur de tout instant, c’est celui avec qui j’ai su tisser ce lien de confiance, d’amitié, sans qui ce colloque n’aurait pas lieu. Cet homme n’est autre qu’Emmanuel Thiébot.
Que serait ce colloque sans l’engagement militant, bénévole de tous les intervenants qui nous font l’honneur de nous faire bénéficier de leurs connaissances ? Ces connaissances sont le résultat de longues études, de longs travaux qui leur permettent de mettre en perspective les heures sombres de nos deux pays. Je les remercie au nom de l’association et en mon nom propre. Sans ces femmes, sans ces hommes qui ont su prendre la juste dimension de notre statut de victime qui était contrainte au silence, nous n’aurions jamais pu entreprendre ce travail de Mémoire. Grâce à toutes ces personnes nous pouvons, nous pourrons nous réconcilier avec notre petite histoire dans la grande Histoire.
Certains s’interrogent sur l’opportunité d’une telle rencontre ? Je renvoie ces personnes à la réflexion d’une autre dimension : est-il normal, est-il décent, est-il sain qu’une Nation ne se soit jamais penchée, interrogée sur ces 200 000 enfants nés de relations dites « honteuses » ? Etaient-elles si honteuses que ça ? Non bien sûr ! Elles étaient tout simplement la résultante d’une occupation de 4 années où les belligérants avaient appris à se connaître, à s’apprécier et à s’aimer. Nous sommes pour la plupart des enfants de l’amour. La fonction que j’occupe dans l’association m’aura valu d’entendre à maintes reprises les témoignages des enfants « dits » de la guerre qui me rapportaient les propos de leurs mères : «je suis toujours restée amoureuse de ton père » !
Non l’armée d’occupation n’était pas composée que d’horribles nazis ! A 80% c’était une armée d’occupation comme toutes les autres armées en tant de guerre. Non nos mères n’ont pas eu un comportement indigne ! Elles étaient jeunes, jolies et pendant cette période d’une grande précarité, d’une grande violence elles avaient le droit d’aimer, d’être aimées. Choisit-on l’être aimé ? L’amour est caractérisé par sa spontanéité, sinon il ne s’agit plus d’amour. Nos mères ont payé un lourd tribut. Nous les enfants ne méritions-nous pas un autre accueil que celui qui nous a été réservé ? Etions-nous responsables de nos parents ? Un enfant est-il responsable de ses parents ? Nous sommes nés dans une période hostile, parmi une population écartelée entre collaboration et résistance. Nous n’étions et ne sommes pas coupables, responsables, nous sommes seulement des victimes. Il nous aura fallu attendre 62 ans pour entreprendre en 2007 publiquement, et ceci grâce au Mémorial, cet indispensable travail de Mémoire.
Est-il trop tard ? Non bien sûr ! Néanmoins en raison de la pyramide des âges l’urgence devient une nécessité. C’est pourquoi il est devenu insupportable d’entendre les déclarations indignes, monstrueuses, d’un responsable politique de notre pays. Il ne s’agit pas d’un individu inculte ! Il s’agit d’un Docteur en droit qui avait 7 ans en1944. En ce qui nous concerne nous avons entrepris cet indispensable travail de mémoire, mais nous devons nous battre pour que l’honneur, de nos mères ne soit pas outrageusement, injustement, bafoué ! N’est-il pas légitime de combattre et de trouver une réponse adaptée à la déclaration de M. Frêche faite à Béziers le 11 février 2008, lors de l’inauguration du lycée professionnel « Jean Moulin ». Les propos de cet individu prennent une résonance toute particulière dans un lieu qui porte le nom d’un résistant de la première heure. Je cite textuellement : « Il existe aujourd’hui une mode qui consiste à protester contre les résistants qui tondaient les femmes qui avaient couché avec les allemands pendant l’occupation. Elles ne pouvaient pas coucher avec les résistants ? Vous croyez que je vais pleurnicher parce qu’on leur a coupé les cheveux ? Mais c’était gentil ! On aurait pu les fusiller. »
Jean Moulin se serait-il rendu coupable de telles exactions ?
De cet individu, M. Frêche, le pire n’est jamais certain. Des harkis qui sont des sous-hommes, à l’équipe de France de football qui est trop black en passant par les femmes tondues de 1944 il nous renvoie à des déclarations qui peuvent faire craindre d’autres dérapages populistes, démagogiques, mais oh combien dangereux ! Demain il peut s’en prendre aux juifs, aux homosexuels… Avec discernement nous ne pouvons évacuer une des périodes les plus sombres de l’humanité ! J’aurais préféré me garder de faire ce parallèle. Combien de témoins de cette montée du nazisme se sont tus ? Après, bien après ils ont dit ou écrit : « je ne me sentais pas concerné. Je n’ai rien vu venir. Je ne savais pas ! » Il est de notre devoir d’homme libre d’être vigilant. Il serait inconséquent de penser qu’il s’agit d’un simple dérapage verbal !
Je veux finir mon intervention sur deux messages d’espoir. Le premier est le discours de notre ministre des Affaires étrangères à l’université Humbold de Berlin en avril 2008. Pour la première fois depuis 1945 un homme politique français aux affaires reconnaissait notre existence. Cette déclaration ne s’est pas faite n’importe où ! Elle s’est faite dans notre autre patrie. Je cite textuellement un passage de son discours : « Je fais partie de ceux qui ne supportent pas que le mouvement de l’histoire passe les malheurs individuels par pertes et profits. Je ne me résigne pas à laisser un être humain, quel qu’il soit, sur le bord du chemin.
Or, la France et l’Allemagne sont jusqu’ici restées sourdes à la détresse des dernières victimes innocentes et intempestives d’un conflit qu’elles n’ont même pas connu. Je parle des enfants de la guerre, ceux qu’on méprisait en France du terrible nom d’enfants de Boches, ces dizaines de milliers de victimes à retardement de la violence de nos peuples.
Enfants souvent d’amours interdits, d’amours coupables et méprisés, fils des tondues sur lesquelles les gens crachaient, rejetons de femmes damnées et de pères à la mémoire assassinée, ces enfants qui sont aujourd’hui adultes nous demandent, soixante après, de reconnaître enfin leur malheur, leur vie, leur identité ».
Mon second message d’espoir, en forme de conclusion, je le délivre dans ce haut lieu de la Mémoire. Ses portes nous aurons été ouvertes en 2007 et nos colloques concrétisés par la signature d’une charte de partenariat. Des intervenants de grande qualité ont écrit la première page. Nous sommes réunis en ce 22 novembre pour écrire une nouvelle page indispensable à la mémoire collective. Ses acteurs, d’horizons divers, vont écrire la seconde. Elle sera autre et non moins passionnante. Emmanuel et moi travaillons déjà sur l’édition 2009 qui sera la troisième. Je suis très fier d’avoir contribué à rassembler dans ce haut lieu toutes ces personnes qui ont le courage de venir délivrer une analyse approfondie de ce que fut nos existences et aider ceux d’entre nous qui n’ont pas pu entreprendre cette indispensable résilience si chère à Boris Cyrulnik. Aucun autre lieu ne remplacera le Mémorial. Au-delà de mes remerciements, je vous adresse à tous ma plus profonde reconnaissance, mon plus profond respect.
Un enfant de la Seconde Guerre mondiale, franco-allemand et résolument européen.
Le Mémorial le 22/11/2008
Le président
Jean-Jacques DELORME
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