Monsieur Le Président, chers collègues, Mesdames et Messieurs, Je vous remercie de nous avoir invités au Mémorial de Caen, la petite délégation autrichienne se compose de deux « enfants de la guerre », Mesdames Karin Trappel et Margot Xander, d’un journaliste du Figaro, Monsieur Maurin Picard et de moi-même.

Le problème majeur des „enfants historiques“ autrichiens – c’est comme ça que j’appelle les “enfants de la guerre” en Autriche, car ils sont nés pour la majorité d’entre-eux en même temps que la République d’Autriche (1946) dont ils portent une partie de l’histoire – leur problème est, comme partout ailleurs, la recherche du père inconnu. Je trouve ici une collusion de l’histoire individuelle et de l’histoire nationale par le biais du père.

Dans cet exposé, je distingue trois niveaux:

1) La recherche universitaire
2) La recherche journalistique
3) La recherche personnelle

1) Pour ce qui est des recherches universitaires sur ce sujet, trois centres universitaires méritent d’être mentionnées: Innsbruck, Salzbourg et Vienne. Innsbruck avec les travaux du professeur Klaus Eisterer de l’Université de la même ville, Salzbourg avec les recherches du professeur Ingrid Bauer à Salzbourg. Ces deux professeurs sont tous les deux historiens. Enfin celui de Vienne avec ma modeste contribution sur la province du Vorarlberg.

Les travaux du professeur Eisterer mentionnent certes la naissance, l’existence et le nombre estimé des « enfants franco-autrichiens », mais ils laissent de côté le problème de leur crise identitaire. Il faut dire que ses recherches analysent plus le contexte général de l’intervention française dans la libération de l’Autriche. En effet, contrairement à la présence allemande en France, les troupes alliées sont venues libérer et non occuper l’Autriche. Mais, il est évident que libérer sans occuper équivaut à vouloir se baigner sans se mouiller. Je vous rappelle que les Alliés avaient divisé l’Autriche en quatre zones:

– Une zone française comprenant les provinces du Vorarlberg et du Tyrol plus une partie de Vienne que les alliés occupaient conjointement. – Une zone américaine comprenant notamment la ville de Salzbourg et la Haute Autriche, – Une zone britannique ainsi qu’une zone russe comprenant la province de la Styrie et la ville de Graz. L’influence du professeur Eisterer est cependant énorme, car suite à une conférence qu’il avait donnée à ce sujet dans son Université, de fil en aiguille, un contact s’est finalement établi entre Madame Heidi Braun et le journaliste Thomas Matzek de la télévision autrichienne. Je reviendrai là-dessus lorsque j’aborderai la recherche journalistique et personnelle.

La publication des recherches du professeur Ingrid Bauer en revanche, avait pour thème les mères autrichiennes ainsi que leurs enfants nés de père soldat Noir-américain. Elle a fait un exposé en 1999 auquel j’avais assisté. Le titre de son article est assez éloquent : « Leiblicher Vater: Amerikaner (Neger) » qui se traduit par: « Père biologique, nègre américain » ! Son exposé m’a impressionné pour deux raisons:

Premièrement, parce qu’il concerne ce que j’appelle les couples dominos et deuxièmement parce qu’elle a confirmé la théorie d’identification à laquelle j’étais arrivé aussi dans mes recherches.

En ce qui concerne les couples dominos, j’ai eu l’impression que Madame Bauer m’avait coupé l’herbe sous le pied en travaillant sur ce que j’appelle le « couple domino » qu’ici en France vous appelez « couple mixte ». C’est une appellation que je réfute, car je trouve que c’est une réduction de la mixité à la simple couleur de la peau, qui loin d’être instructive, demeure plutôt confuse! En effet, pour moi, tout couple classique composé d’un homme et d’une femme est un couple mixte, quand bien même nous voulons faire l’impasse sur la différence des sexes au profit de celle de la couleur. D’autres raisons me poussent à rejeter cette appellation française: travaillant dans un milieu germanophone, je suis souvent amené à passer du français à l’allemand. Le couple mixte se traduit en allemand par « Gemischtes Paar » et si on parle des enfants issus de ce couple, la logique serait de les appeler « Mischlingskinder » qui se traduit en français par « métis », mais c’est historiquement très connoté dans le milieu germanophone, à cause de la sémantique nazie. Sans vouloir remonter au nazisme, je vous donne un exemple de l’actualisation de la sémantique nazie: Madame Karin Trappel ici présente dont le père est Marocain, était appelée « Mischling » pour faire allusion au fromage qui porte le même nom dans sa région, mais qui a la particularité de sentir très mauvais. Par contre en parlant de couple domino, d’une part j’annonçais les couleurs, en ciblant l’objet de mon étude et d’autre part j’apportai ainsi une appellation neutre qui permettait de parler des partenaires comme des enfants dominos sans blesser les susceptibilités des personnes concernées, terme qu’ils ont d’ailleurs accueilli favorablement et parfois avec un brin d’humour.

Pour ce qui est de la théorie d’identification, Madame Bauer et moi, étions arrivés dans nos recherches respectives sans le savoir, à la même conclusion. Moi, dans la genèse des couples dominos, j’ai trouvé que c’est l’identification qui favorise le rapprochement des partenaires dominos. En effet, dans cette étude, je n’ai pas pu confirmer la théorie compensatoire du sociologue américain Robert Merton pour qui le couple domino serait une mésalliance, mais plutôt celle de Rudolf Otto, qui invoque l’attrait par la ressemblance et que l’on retrouve dans l’adage: Qui se ressemble, s’assemble. En outre, Madame Bauer est celle qui, à mon avis, a brisé le silence qui pesait sur les Autrichiennes partenaires des soldats ennemis et leur progéniture dans la société autrichienne. En effet, avant sa conférence, je n’avais jamais entendu parler de ce sujet, alors qu’en province les travaux étaient publiés et des conférences avaient lieu ici et là etc. Tout ça restait cloisonné au niveau très régional! Les Autrichiens ont l’habitude de dire que l’Autriche est géographiquement petite. Ils font allusion à l’Empire austro-hongrois qui était vaste, mais pour le sujet qui nous concerne, je trouve que l’Autriche est aussi vaste que le territoire russe, car ce qui se passe à un bout du territoire, reste inconnu à l’autre bout. Pour preuve, ce qui se passe au Vorarlberg, dans le Tyrol voisin on n’en a aucune idée alors que les deux provinces sont côte à côte !

J’apprécie particulièrement les travaux de Madame Bauer car ils sont basés sur les partenaires des soldats ennemis ainsi que leurs enfants. Dans un de ses articles consacrés aux épouses des soldats américains on les appelait « Amis » (Amerikaner), elle tente de déconstruire le stéréotype autrichien dont elles ont été victimes après la guerre. Elle montre que le puritanisme catholique a érigé un mur de protection pour lutter contre l’anarchie de la guerre en désignant comme bouc émissaire ces femmes. Le discours des milieux conservateurs s’appuyait sur les trois « S » en allemand : « Sodom, Sumpf und Schmutz » qui signifient: « Sodome », « Bourbier » (marécage moral) et « Saleté » ou (une impureté).

Pour les conservateurs en effet, il y avait inversion des valeurs: Non seulement les femmes étaient devenues faciles, c’est elles qui se donnaient, mais en plus, elles allaient jusqu’à choisir leur partenaire dans les rangs de l’ennemi!

Madame Bauer présente des données chiffrées précises en ce qui concerne les enfants historiques non seulement pour le secteur américain, mais aussi pour toute l’Autriche: Je la cite : « déjà en 1949 on annonce le chiffre de 4000 enfants nés de père soldats étrangers; pour la seule région de Salzbourg 2000 enfants sont venus au monde jusqu’en 1955, enfants dont le père était soldat américain et la mère autrichienne ». Ingrid Bauer signale aussi que le journal des travaillistes le (Arbeiterzeitung) du 3 Novembre 1955 rapporte qu’il y aurait au total 8.000 enfants, venus au monde de 1946 à 1953, pour les 4 zones d’occupation alliée. Pour moi, elle est la spécialiste de la zone américaine, au sujet de laquelle elle annonce un chiffre total et plausible de 5.000 naissances. L’opinion avait plusieurs explications pour désigner ces enfants: « Ami-Kinder » « Les enfants des amis » entendez des Américains. Elle signale le mal que ces enfants ont eu à assumer leurs racines qui étaient trop stigmatisantes. Plus important dans ses recherches reste le sort des enfants des soldats Noirs-américains. Ils avaient purement et simplement disparus du paysage blanc comme la neige dans la région!

Elle rapporte ainsi le discours des autres sur ces enfants, à savoir, le discours des responsables des services sociaux municipaux de la jeunesse et de la population d’après-guerre. Elle a intitulé un chapitre ainsi, je cite: « Recherche de la trace dans une

4 culture de l’oubli ». J’aurais plutôt dit « une culture du refoulement » (Verdrängen). Selon elle, les Noirs-américains constituaient 5 à 6 % du contingent américain. La rencontre avec des soldats Noirs était une rupture certaine par rapport aux habitudes quotidiennes de ces populations montagnardes et repliées sur elles-mêmes. Cette rupture alimentait un terreau de rumeurs, de peur, de surprise et de curiosité de toute sorte. Face à ces soldats, la population aurait même préféré les redoutables russes qui pourtant n’avaient pas bonne réputation. Cependant, une autre chose a aussi frappé la même population, c’est la cordialité, la générosité et l’amour des enfants dont faisaient montre les soldats Noirs-américains. On les trouvait ouverts et avenants surtout à l’égard des enfants1. Ce constat a été fait aussi en Allemagne2 Le harcèlement des filles-mères a poussé la plupart d’entre-elles à se débarrasser de leurs enfants en les remettant aux services sociaux, encouragées en cela par ces derniers. Au départ des troupes américaines, les services sociaux estimant que ces enfants dominos n’avaient aucune perspective d’avenir dans le pays, dans la mesure où ils étaient impossibles à assortir à la population autrichienne, organisèrent leur adoption à l’étranger en l’occurrence aux Etats-Unis et en Suède! Une hôtesse de l’air autrichienne de la Sabena, d’origine juive, Trude Jeremias, fût spécialement affectée à leur accompagnement. C’est vraisemblablement pour cette raison que les recherches de Madame Bauer ne s’attardent pas sur le problème d’identité des « Enfants historiques ». . Et pour Madame Bauer, c’est cette attitude qui relativisait la hiérarchie entre d’une part, occupants et occupés et d’autre part, vainqueurs et vaincus. La population l’exprimait en disant: « Avec les Noirs nous arrivons mieux à nous entendre malgré tout. » C’est ce qui l’a conduite à la conclusion d’y voir « l’alliance des opprimés » dont a parlé Erwing Goffmann et que j’ai pu confirmer aussi dans mon étude sur le couple domino. Elle en a fait la citation suivante: « I am a slave, you are a slave ». (Je suis un esclave, vous êtes un esclave) Les travaux de Renate Huber ont aussi pour thème principal les mères autrichiennes des « Enfants historiques », sans toutefois approfondir la crise identitaire dont ils ont pu souffrir et les recherches dans lesquelles ils se sont lancés dans l’espoir de retrouver leur père. A l’Université de Vienne, je suis le seul à avoir osé travailler sur ce thème. Mes propres recherches à ce sujet ont pour objectif d’amplifier la voix des Enfants historiques en publiant leur histoire, de les sortir petit à petit du ghetto moral que représente le Vorarlberg lors de chaque présentation de mon livre (au Forum Culturel 1Putz Johannes, Diplomarbeit; Zwischen Liebe und Business, Österreicherinnen und amerikanische Gis in der Besatzungszeit, Salzburg 1995, S. 84. 2 Brauerhoch Annette, „Fräuleins“ und Gis, Stroemfeld/Nexus, 2006, S. 227-228. Autrichien à Paris, à l’Académie Diplomatique de Vienne, à la télévision autrichienne et au Parlement autrichien). De les aider, autant que faire se peut, à retrouver un peu de dignité, et surtout, la trace du père inconnu. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu publier ce livre en France en traduisant leurs récits de vie de l’allemand vers le français ; je me suis limité à 5 d’entre-eux afin de gagner du temps, et me suis efforcé de leur trouver une autre appellation à connotation positive: « Enfants historiques » puisqu’ils sont nés pour la plupart avec la République d’Autriche. Mon objectif numéro un était surtout d’arriver à trouver ne fût-ce que la trace d’un seul père. Ce faisant, je me suis démarqué de mes prédécesseurs que je viens d’évoquer et deux ans après sa publication, c’est suite à l’article du Figaro du 7 Mai 2009 que nous avons pu identifier le père de Madame Karin Trappel ici présente.

2) En ce qui concerne les recherches journalistiques, je distingue deux niveaux: le niveau national et le niveau provincial. Comme je viens de le dire, l’activité médiatique provinciale est assez abondante aussi bien pour la presse écrite qu’audio-visuelle, mais il n’y a pas meilleure cage de Faraday que les montagnes autrichiennes pour l’empêcher de se répandre au niveau national ! Tout se qui se fait et se dit au Vorarlberg au sujet des « Enfants historiques » reste cantonné au Vorarlberg.

Au niveau national, je signale le documentaire de Thomas Matzek de l’ORF intitulé « Autriche mon amour » avec un fond musical de Charles Trénet « Que reste-t-il de nos amours » ? Ce documentaire montre la recherche acharnée du père menée par Madame Heidi Braun avec le soutien sans faille du même journaliste, Thomas Matzek, et qui a abouti à la découverte de sa deuxième famille au Maroc, bien qu’elle ait appris que son père était déjà mort depuis bien longtemps. Je rappelle que Madame Braun a connu Thomas Matzek grâce à la conférence du Professeur Eisterer. Sans cet engagement exemplaire du journaliste, elle n’y serait jamais parvenue. Enfin je terminerai ce chapitre des recherches en mentionnant deux articles: d’abord celui du quotidien autrichien « Standard » du 8 Janvier 2008 avec un article de Madame Jutta Berger, la correspondante du journal au Vorarlberg et puis celui évoqué tout à l’heure du Figaro, qu’a écrit son correspondant à Vienne, Maurin Picard. Je tiens à souligner l’engagement personnel exceptionnel de ce dernier qui a permis l’identification du père de Madame Trappel. Sans son engagement personnel, mon livre n’aurait en fait servi qu’à grossir les rayons des bibliothèques sur ce thème. Permettez-moi de saisir donc cette occasion pour remercier sincèrement tous les participants à cette « boule de neige » ou, si vous me permettez de le dire autrement, à ce mini « effet domino » dont l’aboutissement a été l’identification du père de Madame Trappel après tant d’efforts et années de recherches. Il s’agit notamment de l’association « coeurs sans frontières » et surtout des autorités françaises qui se sont montrées sensibles à sa peine. Puissent les uns et les autres trouver ici l’expression de notre profonde gratitude.

3) Quant aux recherches personnelles, elles sont pour la plupart inconnues du public tant des chercheurs, que des média, car elles sont peu médiatisées. Il n’y a que les familles concernées elles-mêmes ainsi que les autorités administratives auxquelles elles s’adressent qui en savent plus. Les intéressés pourtant ne cessent de tout faire pour savoir qui était ce père inconnu. Vit-il encore ? A-t-il eu d’autres enfants ? Et même, tenez-vous bien, comment s’appelait-il ? Cette recherche est générale, je ne connais pas un « Enfant historique » qui y soit resté totalement indifférent toute sa vie. C’est à ce niveau que j’ai constaté une différence, pour ce qui est du Vorarlberg, en effet, les enfants de père marocain ont généralement un document ou une preuve matérielle de l’existence de leur père et ils connaissent aussi souvent son nom et parfois même un bout de son histoire. Les enfants de père français en revanche, eux n’ont rien. Ils ignorent presque tout, même jusqu’à son nom de famille! Ce fait s’explique par la « visibilité » des uns et « l’invisibilité » des autres dans la société autrichienne. Les enfants de père marocain étant « visibles » à cause de la couleur de leur peau et de leur type de cheveux, ils ont été les premiers à être pris pour cible tant à l’école que dans la rue. Cette réaction a poussé leur propre mère à intervenir en sortant de leur réserve et en expliquant à leur enfant l’histoire de son père et en lui en donnant aussi des preuves matérielles existantes. Le succès de la recherche du père en est d’autant facilitée aujourd’hui, si toutefois les personnes de bonne volonté, en l’occurrence les journalistes et les autorités administratives veulent bien les aider dans cette démarche. Toutefois, cette recherche n’en demeure pas moins infructueuse pour ceux, ne connaissant pas le nom de leur père, et ne disposant d’aucun élément matériel susceptible d’aider à son identification. C’est le cas par exemple de Madame Margot Xander ici présente. Toutefois, elle ne baisse pas les bras pour autant. Elle m’a écrit à plusieurs reprises pour me rappeler de l’informer sur tous mes déplacements en France. Dans une de ses lettres, j’ai fini par comprendre l’espoir qui l’anime; c’est que, lors de rencontres comme celle-ci, quelqu’un ayant connu son père ou entendu parler de lui puisse la contacter. Sa mère s’appelait Cäcilia Lorenzin et était née le 17 Septembre 1922. Margot a encore des photos d’elle la portant dans ses bras quand elle était bébé. Seul le « hasard » peut l’aider désormais. Je m’en vais conclure en disant simplement qu’à ma connaissance, les chances de réussite dans la recherche du père en Autriche me semblent hélàs extrêmement faibles, surtout quand on le compare aux dossiers franco-allemands. En tout et pour tout, il n’y a eu jusqu’ici, à ma modeste connaissance, que deux cas où les efforts des personnes concernées ont été couronnés de succès et ce, grâce à l’engagement exemplaire des journalistes dont celui du correspondant du Figaro à Vienne. C’est la raison pour laquelle j’en appelle aux initiatives d’envergure européenne, car une guerre mondiale ne peut et ne doit pas être réduite à un simple cadre bilatéral. Elle mérite au moins une prise en compte à l’échelle du continent européen. Je vous remercie pour votre attention.

Clément Mutombo / Université de Vienne / Autriche

L’organisation « LEBENSBORN » de la SS

(Cœurs sans Frontières, CAEN 28.11.2009)
Georg LILIENTHAL

L’organisation « Lebensborn » ou plus exactement l’ « Association enregistrée Lebensborn » ne fut ni un centre de procréation dirigée ou bien un « haras humain » ni une institution caritative, même si un tribunal militaire américain l’a affirmé après la guerre, la disculpant ainsi de toute responsabilité dans les crimes nazis. Cependant, en tant qu’association SS, elle servit par sa spécificité la politique raciale et de peuplement national-socialiste.

L’organisation « Lebensborn » était une émanation de l’idéologie raciale national-socialiste : les races « inférieures » devaient être combattues et exterminées (Holocaust) et les races « supérieures » (par là, il s’agissait avant tout du peuple allemand) devaient prospérer. La promotion des races « supérieures » consistait à changer les conditions politiques et sociales de telle manière qu’elles puissent mettre au monde le plus grand nombre possible d’enfants. C’est pourquoi il importait peu à Hitler que les enfants soient légitimes ou illégitimes.

La création

Lorsque le Reichsführer-SS Heinrich Himmler devint en 1935 le premier policier du Reich allemand, il estima qu’environ 700.000 avortements avaient lieu annuellement. A cette époque, les femmes qui tombaient enceintes sans être mariées étaient socialement exclues. Elles étaient chassées de leurs familles, perdaient leur emploi. Beaucoup tentaient de résoudre ce conflit par des interruptions volontaires de grossesse illégales. C’est ici qu’intervint Himmler. Pour lui, les 700.000 avortements étaient 700.000 enfants perdus. Réflexion faite, Himmler se dit alors que si personne n’apprenait que les femmes étaient enceintes, les avortements n’avaient plus de raison d’être. En conséquence, il voulut lutter contre les avortements non seulement en sanctionnant les mères, mais aussi en cachant les grossesses et les naissances.

Afin de réaliser cette idée, Himmler créa en 1935 l’organisation « Lebensborn ». D’après ses statuts, la mission principale de l’organisation était de « prendre en charge les parturientes racialement et génétiquement supérieures » et leurs enfants. Le médecin-chef du Lebensborn, l’Oberführer-SS Docteur Gregor Ebner, fit en 1938 la constatation suivante : une jeunesse de qualité sortira du Lebensborn, une jeunesse « ayant une grande valeur physique et spirituelle et constituant la noblesse de l’avenir ». Le « Lebensborn », poursuivit-il, protège la mère célibataire et son enfant des attaques de la société « purement et simplement en raison du fait que nous autres Allemands ne pouvons pas nous permettre de renoncer à la moindre goutte de sang pur. »

Les maternités et les foyers pour enfants

Pour être tout à fait clair : le « Lebensborn », pour des raisons d’idéologie raciale, devait soutenir les femmes enceintes. A cet effet, il créa des maternités. Le premier foyer de cette sorte fut ouvert en 1936 à Steinhöring près de Munich. A la fin de la guerre, l’organisation possédait à l’intérieur du Reich allemand (Autriche incluse) 9 maternités et 2 foyers pour enfants dans lesquels 7000 à 8000 enfants – dont 50% à 60% étaient illégitimes – vinrent au monde.

La confidentialité

Le caractère de confidentialité exigé par Himmler en ce qui concerne les grossesses et les naissances ne pouvait être garanti qu’en contournant ou en faisant abstraction du droit en vigueur. Les propres états-civils des foyers empêchèrent ainsi que l’état-civil du lieu de naissance de la mère soit informé de la naissance d’un enfant illégitime comme cela était exigé par la loi. Afin de se soustraire à la déclaration domiciliaire obligatoire, l’organisation mit en place dans les foyers ses propres bureaux de déclaration domiciliaire et fournit aux futures mères des adresses de couverture afin qu’elles n’aient pas à déclarer à leur administration d’origine le foyer du « Lebensborn » comme nouveau lieu de résidence.

La prise en charge

Après la naissance des enfants le « Lebensborn » se chargeait de leur tutelle qui, pour les enfants illégitimes, était prescrite par la loi. Du fait que le « Lebensborn » voyait un intérêt à ce que les mères élèvent leurs enfants, il les aidait à trouver un logement et du travail. C’est seulement lorsque, pour des facteurs extérieurs, comme la guerre, la vie commune de la mère et de l’enfant n’était pas possible que l’organisation accueillait les enfants pour une période bien déterminée dans ses propres foyers ou bien les confiait aux soins de familles.

Les adoptions n’étaient prévues que pour les cas exceptionnels et devaient obtenir à chaque fois l’accord de Himmler. A la fin de la guerre, seulement 100 enfants au total avaient été adoptés. En raison de ces dispositions à caractère social, une grande partie des femmes a conservé en mémoire l’organisation « Lebensborn » comme une institution caritative.

L’extension des « Lebensborn » après le début de la guerre

L’organisation « Lebensborn » s’est étendue au-delà des frontières du Reich lorsque les troupes allemandes ont occupé l’Ouest et le Nord de l’Europe.

La Norvège

Les partisans nationaux-socialistes de la race plaçaient la valeur raciale de la population norvégienne à un niveau particulièrement élevé. Ils considéraient les Norvégiens comme un « peuple germanique frère ». C’est pour cette raison que le « Lebensborn » prit très rapidement en charge les quelque 12.000 enfants, la plupart illégitimes, nés de mères norvégiennes et de pères allemands. A partir de 1941, le « Lebensborn » créa dans ce pays au total 10 maternités et foyers. Environ 250 de ces enfants furent transférés en Allemagne sans l’accord de leurs mères pour y être adoptés.

De plus, l’organisation ouvrit une maternité en Belgique et une en France ainsi qu’un foyer pour enfants au Luxembourg.

En Octobre 1943, la SS estima que dans la France occupée 85.000 enfants étaient nés de mères françaises et de pères allemands. Pour cette raison, le « Lebensborn » ouvrit une maternité à Lamorlaye, près de Chantilly, le 06.02.1944. A cause de la situation sur le front elle fut fermée dès le 10.08.1944. D’après les recherches de Boris Thiolay parues dans l’Express de mai/juin 2009, 21 enfants au maximum naquirent pendant cette période.

La germanisation des « enfants de peuples étrangers »

A partir de 1942, le « Lebensborn » participa également à la germanisation de 350 enfants, âgés de quelques mois à 17 ans, qui, à la suite de tests de sélection raciale conduits par les SS, avaient été transférés de l’ancienne Yougoslavie (Croatie, Slovénie), de Pologne ou de l’ancienne Tchécoslovaquie en Allemagne contre la volonté ou bien à l’insu de leurs parents ou de leurs responsables légaux. Le « Lebensborn » leur donna des noms allemands, les éduqua à l’allemande dans ses foyers ou bien les confia à des familles d’accueil allemandes en vue d’une adoption ultérieure.

La sélection raciale

Tout comme l’ensemble de la SS, l’organisation « Lebensborn », en particulier, était tenue à l’esprit de la sélection.

L’accueil

Les parturientes étaient accueillies dans les foyers seulement si elles remplissaient les conditions raciales génétiques requises par la SS. C’est ainsi qu’elles devaient mesurer au moins 1,70 m. Les types raciaux « ostique » et « westique » étaient refusés, alors que les blondes aux yeux bleus étaient préférées. Les femmes devaient prouver leur qualité raciale et médicale d’une part, grâce à un arbre généalogique des parents et des grands-parents ou même encore mieux des ancêtres jusqu’à 1800 – comme cela était exigé dans la SS – et d’autre part par des questionnaires spéciaux (Questionnaire de la mère d’un enfant illégitime dit « KM » et « Certificat de santé ») qui devaient être remplis par un médecin. Des documents similaires étaient également exigés du père du futur enfant.

Le questionnaire « Reichsführer »

L’admission dans un foyer du « Lebensborn » ne signifiait cependant pas encore un jugement racial définitif concernant la mère. Pendant le séjour dans le foyer, le médecin-chef ainsi que l’infirmière-chef remplissaient un autre questionnaire qui était uniquement destiné à Himmler. Ces questionnaires « Reichsführer » étaient très secrets et élaborés à l’insu des mères. Dans ces questionnaires, outre des informations personnelles, figuraient l’ « apparence raciale » de la mère ainsi que son comportement dans le foyer et vis-à-vis de l’enfant. En dernier lieu, il était demandé si elle correspondait de manière « raciale », « idéologique » et « par son caractère » à la sélection de la SS et s’il était souhaitable qu’elle ait encore d’autres enfants « dans l’esprit du principe de la sélection de la SS ».

L’attribution du prénom

Les mères étaient également obligées de soumettre leurs enfants à une cérémonie SS « d’attribution du prénom » à la place du baptême. Au cours de celle-ci ils étaient formellement accueillis au sein de la « communauté familiale de la SS ».

L’«euthanasie »

Cependant, ce qui ne devait pas arriver en raison de la sélection raciale arrivait parfois : des enfants naissaient avec des malformations, par exemple avec des pieds bots ou bien avec un bec-de-lièvre. Qu’advint-il d’eux ? Ils furent retirés du foyer et le « Lebensborn » refusa la prise en charge de leur tutelle.

Je connais jusqu’à ce jour quatre cas de tels enfants handicapés. Ils furent transférés du « Lebensborn » dans des institutions spéciales de soins dans lesquelles les enfants étaient tués après une certaine période d’observation. Trois de ces enfants handicapés nés dans le « Lebensborn » furent assassinés dans ces institutions.

L’échec d’une utopie

Himmler avait rêvé que le Reich allemand, après 30 ans, avec l’aide du « Lebensborn » aurait pu disposer de 400.000 soldats supplémentaires. Cependant, après neuf ans d’existence du « Lebensborn » le bilan était tout autre : Si nous partons des quelque 8.000 naissances au sein des « Lebensborn » entre 1936 et 1945 dans le Reich allemand, dont environ 60% furent illégitimes, nous aboutissons au mieux à un plus de 4.800 naissances ; un résultat bien maigre. L’utopie de Himmler avait pitoyablement échoué.

Conclusion

Que sont devenus les enfants dont les destins se cachent derrière ces chiffres ? La plupart des enfants restèrent plusieurs mois, parfois pendant un voire deux ans dans le « Lebensborn ». Une partie d’entre eux fut ballotée d’un foyer à un autre, de familles d’accueil en familles d’accueil jusqu’à ce qu’ils soient, pour la plupart seulement à la fin de la guerre, adoptés définitivement par des couples sans enfant. Les autres enfants furent récupérés par leurs mères après une période de séparation plus ou moins longue lorsque leur situation personnelle se fut stabilisée.

A quelques exceptions près, tous les enfants du « Lebensborn » ont en commun que leurs mères et parents adoptifs leur dissimulèrent leur origine.

Leurs mères gardaient le silence ou bien accumulaient les mensonges lorsque les enfants en grandissant posaient des questions sur leurs pères inconnus ou sur leur enfance. Les enfants ont ressenti toute leur vie que leurs mères avaient des secrets qu’elles ne voulaient pas leur confier. Dans ces conditions, il leur était impossible de développer une relation de confiance stable et affective avec leurs mères ou leurs parents adoptifs. De ce fait, leur estime de soi en a été amoindrie. Simultanément, comme ils ne connaissaient pas leurs pères géniteurs il leur manquait une partie de leur identité.

Les enfants du « Lebensborn » sont marqués pour ne pas dire traumatisés par ces expériences. C’est pourquoi ils ont été paralysés pendant des années de leurs vies à l’idée de rechercher leur origine.

Ce n’est que petit à petit qu’ils sont parvenus pour la plupart à reconstruire leur enfance en procédant à des recherches difficiles et douloureuses pour retrouver leurs pères géniteurs. Et à trouver finalement leurs racines familiales. Un nombre inconnu d’enfants du « Lebensborn » sont encore aujourd’hui à la recherche de leur enfance perdue. Surtout les enfants originaires de pays occupés qui furent transférés en Allemagne et qui ignorent tout de leurs mères et de leurs pères.

Il n’en va pas autrement pour les « enfants de la guerre » ici en France.

 

Au vu des faits historiques il n’est pas justifié de parler du « Lebensborn » comme d’un centre de procréation dirigée, d’un « haras humain » ou même encore d’un « bordel ». Le respect que l’on doit au destin de ces enfants innocents qui furent utilisés pour les besoins de la politique raciale et démographique national-socialiste nous l’interdit.