Ute et Jean devant la tombe de leur père Hans le 28 avril 2012
 25 ajnvier 2017 Jean reçoit des mains du consul d'allemagne, Monsieur Thomas Prösti son décret de naturalisation.

2017 – 74 ans après

Durant l’été 1943, en Bourgogne, Suzanne, une jeune fille paumée, orpheline de Mère depuis l’âge de 7 ans et pratiquement abandonnée par son Père veuf, découvre le prince charmant, Hans, sous les traits d’un soldat allemand. Celui-ci, beau, bien habillé, très correct lui donne l’occasion de découvrir une vie meilleure. Ils décident de ne pas attendre Mai 1968 pour faire l’amour plutôt que la guerre. Peu après, mon Père repart au combat, ma Mère ne le reverra jamais.

C’est ainsi que je suis venu au monde le 09 Avril 1944, fruit de leurs amours interdites et éphémères. Ma Mère, méprisant l’abjecte loi permettant l’accouchement sous X promulguée par le Maréchal Pétain pour tenter d’endiguer ces naissances « honteuses », décide alors de me garder et m’élever malgré l’adversité.

En 1946,voulant passer un concours d’entrée aux PTT, elle apprend que les obscurs, arbitraires et illégaux Tribunaux d’exception l’ont interdite de Fonction publique. La délation est passée par là. Bien entendu, la plupart des messieurs qui l’envisagent s’éclipsent en apprenant mon existence, quelques-uns souhaitent malgré tout l’épouser à la condition de me placer à l’Assistance publique…..

Epouser une Fille-Mère, quelle horreur !

Ma Mère fait donc le choix de me porter à bout de bras malgré les difficultés pour trouver un emploi dans sa situation dans une petite ville de Franche-Comté aux mentalités étriquées.

Je passe quelques années en pension, étant la risée des petits camarades de classe en tant que seul à ne pas avoir de Père. De même, un peu plus tard, lorsque une petite copine me présente à ses parents, son père ne tarde pas à m’asséner d’un ton sec un «qu’est-ce qu’il fait ton père» difficile à assumer.

En 1960, ma Mère entreprend des recherches à Berlin par l’intermédiaire d’un correspondant habitant dans le quartier de Charlottenburg. Celui-ci retrouve la trace de mon Père. Ma Mère, toujours en proie aux scrupules, est partagée entre le désir de me faire connaître mon Père et le souci de ne pas détruire son union.

En 1961 mon voyage à Berlin est envisagé. Hélas, dans la nuit du 12 au 13 Août 1961 jaillit le Mur de Berlin. Mon Père réside à Berlin-Est dans le quartier Schönhauser rattaché au nouveau secteur soviétique. La porte se referme définitivement. Comme beaucoup, je me préoccupe alors de ma vie professionnelle et oublie mes interrogations généalogiques.

Le 13 Mars 2003 est diffusé pour la première fois sur FR3 le magnifique film documentaire «Enfants de Boches» de Christophe Weber et Olivier Truc…….à 23h30. Ce sera alors la fin d’un tabou qui débouchera, deux ans après, sur la création des deux associations d’Enfants de la guerre françaises. Ce document est rediffusé le 28 Février 2004 à une heure moins tardive, comme quoi les mentalités évoluent.

Comme beaucoup je reprends les recherches. Le 15 Juillet 2003 je questionne la WASt qui est l’organisme situé à Berlin qui gère les archives de la Wehrmacht (armée allemande). Le 14 Janvier 2004 dans sa réponse, la WASt m’informe que mon Père est décédé le 29 Décembre 1990 dans une clinique de l’est de Berlin, un an après la chute du Mur….

Les recherches continuent avec l’Association « Cœurs sans frontières » (dont j’ai rejoint le conseil d’administration) ainsi qu’avec deux correspondantes berlinoises. Une annonce passée dans le Berliner Abendblatt ne donne aucun résultat.

En Décembre 2011, victoire ! une de mes deux correspondantes retrouve la Veuve de mon Père !!! Contre toute attente ma famille allemande est ravie et impatiente de me connaître ! J’ai désormais une sœur, un beau-frère et deux neveux.

C’est le 28 Avril 2012 que je rencontre Ursula, la veuve de mon père et sa fille. Un grand moment de joie et d’émotion. La première chose que nous faisons, ma sœur Ute et moi, est d’aller nous recueillir sur la tombe de notre père Hans dans un charmant petit cimetière au nord de Berlin. Me tournant vers sa sépulture, je lui ai dit « tu m’as beaucoup manqué », peut-être ai-je dit en rêve « Papa » pour la première fois de ma vie (à 68 ans) ?

Le lendemain je fais la connaissance de mon beau-frère Peter, de mes deux neveux Christian et Mario et de Werner, compagnon d’Ursula. Cerise sur le gâteau, ma Mère, germanophone, noue alors de chaleureuses relations épistolaires avec notre nouvelle Famille.

Ma Mère décède le 21 Septembre 2014. Conformément à la tradition de certaines personnes dans cette triste ville du Jura, des voisins m’avisent de leur intention d’assister à son inhumation. La publication de l’avis de décès précisant « obsèques civiles » les fait changer d’avis, ils ne viendront pas.

En Avril 2008, Monsieur Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères, en visite à Berlin, attire l’attention des autorités allemandes sur la situation des enfants nés, pendant la Seconde Guerre mondiale, d’une mère française et d’un père allemand. Il y en aurait environ 200 000. L’Allemagne décide alors, pour les cas reconnus, d’accorder à ces personnes la nationalité allemande.

Je dépose donc le 17 Janvier 2014 au Consulat de Lyon ma demande de naturalisation allemande. Pour moi, cette reconnaissance est très importante mais purement morale, elle ne m’apporte aucun avantage particulier hormis le droit de voter lors d’élections en Allemagne.

C’est le 24 novembre 2016 que j’apprends par le Consulat de Strasbourg l’excellente nouvelle : ma demande est acceptée.

La remise officielle de mon décret de naturalisation a lieu au Consulat d’Allemagne à Paris le 25 Janvier 2017. La cérémonie émouvante, à la fois solennelle et intimiste conduite par Monsieur Thomas Pröstl, Consul très humain et sympathique, dure une heure. J’ai reçu des mains du Consul mon décret de naturalisation, j’ai signé la Charte de loyauté envers l’Allemagne et nous avons bu le Champagne dans une ambiance très détendue. J’aurai 73 ans dans quelques semaines, la boucle est bouclée. Seul tout petit bémol, le Consulat ne m’a autorisé à être accompagné que de cinq personnes. Un déjeuner dans une somptueuse brasserie de la Porte Maillot clôture cette journée mémorable.

Bien entendu je conserve ma nationalité française. La France est le pays de ma Mère. La France est notre culture à tous les deux. Je suis le produit de l’école républicaine et laïque française et ai consacré ma vie professionnelle au Service-public.

Voir désormais mon Père allemand reconnu me confère une grande joie, une solide sérénité et un grand équilibre. Je marche enfin sur mes deux jambes. Européen convaincu, je suis un binational.

Depuis la disparition de ma Mère, je me dévoile plus volontiers. Je ne le faisais pas avant pour la protéger. Je le fais pour encourager les personnes dans le même cas que moi à sortir de leur clandestinité. Lorsque l’on vit dans ce tabou, on est persuadé que l’on est seul au monde à vivre une situation injuste alors que tous les autres sont « normaux ». J’ai bien conscience des deux immenses chances que j’ai eues dans cette affaire. La première est que dès mon plus jeune âge, ma Mère ne m’a rien dissimulé. Elle m’a précisé les nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse de mon Père. Elle m’a fourni des photos et des correspondances. La seconde chance est que ma Famille allemande m’a spontanément adopté avec chaleur.

Lorsque je raconte tout cela, certains me disent que c’est une belle histoire. En la vivant, épisode par épisode, je ne l’ai pas ressentie comme telle, mais avec le recul, avec la maturité, je pense que cela doit être vrai.

Dois-je ajouter que sans Cœurs sans Frontières je n’aurais probablement pas réalisé tout cela ?

Que tous ceux qui n’ont pas encore trouvé leur Père, que ceux qui ont trouvé mais n’ont pas été acceptés par leur Famille allemande gardent l’espoir d’une rencontre ou d’une reconnaissance.

Je sais que certains savent que leurs recherches n’aboutiront vraisemblablement pas. Puisse mon histoire apporter à tous une part de rêve.

Jean WILLEMIN

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