Rendez-vous à Nantes après 63 ans

Johanna Brunne, née Maddée

A la recherche de mon père, de sa tombe, de mon identité, de mes racines en France, c’est une famille accueillante et harmonieuse que j’ai trouvée ! Je lui ai rendu visite pour la première fois en novembre 2006, et je crois que j’ai réussi, dans ce petit cercle privé, mon examen d’intégration…

Jacqueline et Johanna

Je savais depuis mon enfance que mon papa était un prisonnier de guerre français et qu’il avait travaillé avec ma mère dans les studios de l’UFA à Babelsberg. Leur amour interdit (!) avait duré un peu plus d’un an, avec toujours la guerre en toile de fond. Ma mère était une Berlinoise, ses ancêtres des Huguenots. Elle avait un prénom et un nom de famille français, elle parlait français – plus ou moins bien certes, mais ceci avait sans doute favorisé leur liaison.

Mon père fut rapatrié trois mois avant ma naissance, une chance pour lui, une tragédie pour ma mère. Elle vivait dans l’espoir de le retrouver après la guerre, puisant toute son énergie dans son amour sans borne pour cet homme qu’elle avait perdu si brusquement. Au fil des années, j’ai toujours eu le sentiment à travers elle d’avoir été une enfant désirée. Elle faisait une totale abnégation de sa personne pour me donner une enfance heureuse. Mais hélas, je ne pouvais pas partir en France à la recherche de ce papa idéalisé et tant aimé en secret.

Nous vivions à Berlin-Est, en ex-R.D.A. Je ne possédais qu’une photo de lui, je connaissais son nom exact, sa date de naissance approximative, mais je n’avais aucune adresse précise, juste la ville d’Arcachon, où il était retourné fin 1942. Les tentatives entreprises par ma mère pour le retrouver, dans les années précédant la construction du mur, par l’intermédiaire du Consulat français, échouèrent. Son camarade de guerre à Paris ne savait rien de précis non plus. Je m’étais donc résignée, depuis longtemps…

Et puis, après avoir lu le livre « Enfants maudits“ de Jean-Paul Picaper et Ludwig Norz, je pris contact avec eux, leur disant que je faisais partie de ces « enfants de guerre », mais née d’un père français et d’une mère allemande. Ils m’encouragèrent, en février 2006, à présenter une demande de paternité auprès du service de renseignements sur la Wehrmacht (la WASt) à Berlin. Ce que je fis. Et là, l’espoir et l’excitation revinrent en force lorsque je reçus un premier appel de la WASt me disant que dans un des dossiers, alignés par milliers, se trouvait une fiche avec le signalement d’un homme pouvant correspondre à celui de mon père. Hélas, ce fut une fausse joie. Cet homme n’était pas mon père.

La bonne nouvelle arriva en juin 2006 des archives militaires de Caen. Là, tout était était minutieusement enregistré, de sa date d’arrestation en Juin 1940 sur la Somme à son emploi dans les studios de l’UFA à Babelsberg en Allemagne, jusqu’à la date et au lieu de sa mort. J’appris que j’avais deux demi-soeurs, Janine et Jacqueline. Comment les retrouver ? Elles ne portaient sans doute plus leur nom de jeune fille. C’est ici qu’intervint la solidarité active de l’association „Cœurs sans Frontières-Herzen ohne Grenzen“. Son président, Jean-Jacques Delorme, fut alors mon „Sherlock Holmes“. Il sacrifia du temps à son congé d’été en Bretagne pour essayer de retrouver, dans un premier temps, la tombe de mon père. Et de là, se mettre sur la piste de mes demi-soeurs. Il se renseigna à la mairie pour connaître le nom des descendants de mon père et après s’être annoncé par téléphone,  il rendit visite à ma demi-sœur Jacqueline pour lui apprendre, avec toute la délicatesse que suppose une telle révélation, qu’elle avait une demi-soeur en Allemagne ! La surprise passée, c’est avec la sagesse de l’âge qu’elle intégra cette nouvelle.

Maintenant je sais que je n’ai pas étudié en vain la langue de mon père. Nous avons plongé, ma soeur et moi, au plus profond de ce passé lointain. Et c’est sereines que nous en sommes ressorties, donnant à notre père défunt notre absolution commune.

Je me suis recueillie sur sa tombe, et j’ai eu une tête-à-tête paisible avec lui. Loin de moi l’idée de troubler sa famille, mais après l’accueil chaleureux et émouvant que j’ai reçu de tous ses membres, nous souhaitons poursuivre et préserver cette nouvelle relation dans l’avenir. Pour mon plus grand bonheur !